Les ouvertures de barrage constituent un domaine indépendant des systèmes d'enchères. Elles définissent d'emblée une couleur de contrat, qui a de bonnes chances d'être la meilleure couleur à jouer pour le camp de l'ouvreur. En faisant une première enchère à un niveau élevé, on considère qu'elles offrent, de plus, l'avantage pour ce camp de compliquer la tâche du camp adverse, si celui-ci détient une force et une couleur susceptibles de permettre la réussite d'un contrat élevé.
Très tôt, on a considéré qu'il fallait une couleur de sept cartes pour envisager un tel type d'enchère. Concernant la force du jeu, Culbertson a posé comme principe, qu'il fallait ne pas faire plus de deux levées de chute si l'on était vulnérable, et trois levées si l'on ne l'était pas. Ceci afin de ne pas perdre plus de 500 points si l'on est contré. Une ouverture au palier de trois demande, donc, six levées de jeu si l'on est non vulnérable, et sept levées si l'on est vulnérable. Ce principe a servi à définir les ouvertures de 3 ♥ et 3 ♠, puis dans un second temps, celles de 3 ♣, 3 ♦, 4 ♥ et 4 ♠. Plus récemment, le même principe a été étendu aux ouvertures de 2 ♥ et 2 ♠. Il est encore très souvent appliqué.
Comme l'écrit Jean-René Vernes dans son livre "Bridge Distributionnel - Le secret des enchères compétitives" paru aux éditions Le Bridgeur septembre 2000:
"Les ouvertures de barrage étant ainsi définies, on est tenté de penser qu'elles doivent être particulièrement efficaces. Si le camp de l'ouvreur est minoritaire en force, le barrage rend difficile aux adversaires la découverte de leur meilleur contrat, tout en étant garanti par la sécurité distributionnelle. S'il est majoritaire, il suffit de donner à l'ouverture la précision voulue pour trouver soi-même le contrat idéal. L'ouverture de barrage devrait être largement gagnante."
Jean-René Vernes a effectué un relevé statistique de plus de 5 000 donnes issues de 40 championnats du monde. Je ne puis que vous recommander de vous procurer son livre. Les résultats sont surprenants.
Sur 25 ouvertures de 3 ♣, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, dont 3 avec sept cartes et 22 avec six cartes, 16 ont été gagnées pour un bénéfice total de 118 IPM (International Match Points), et 9 ont été perdues pour une perte totale de 60 IPM, ce qui fait un bénéfice net de 7 donnes pour 58 IMP.
Sur 13 ouvertures de 3 ♦, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, dont une avec huit cartes, 5 avec sept cartes et 7 avec six cartes, 11 ont été gagnées pour un bénéfice total de 104 IMP, et 2 ont été perdues pour une perte totale de 14 IMP, ce qui fait un bénéfice net de 9 donnes pour 90 IMP.
Sur 17 ouvertures de 3 ♥ faites avec six cartes ou plus, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, 56 IMP ont été gagnés et 58 IMP ont été perdus, ce qui fait une perte nette de 2 IMP.
Sur 9 ouvertures de 3 ♠ faites avec six cartes ou plus, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, 23 IMP ont été gagnés et 30 IMP ont été perdus, ce qui fait une perte nette de 7 IMP.
Sur 2 ouvertures de 4 ♥, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, 5 IMP ont été gagnés et 3 IMP ont été perdus, ce qui fait un bénéfice net de 2 IMP.
Sur 2 ouvertures de 4 ♠, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, 6 IMP ont été gagnés et 3 IMP ont été perdus, ce qui fait un bénéfice net de 3 IMP.
Sur 23 ouvertures de 2 ♥ faites avec six cartes ou plus, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, 34 IMP ont été gagnés et 70 IMP ont été perdus, ce qui fait une perte nette de 36 IMP.
Sur 29 ouvertures de 2 ♠ faites avec six cartes ou plus, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, 66 IMP ont été gagnés et 90 IMP ont été perdus, ce qui fait une perte nette de 24 IMP.
Les ouvertures de barrage en mineure faites avec six cartes ou plus sont positives. Celles en majeure conduisent à des résultats opposés. Ils sont négatifs pour toutes les ouvertures inférieures à la manche, et particulièrement mauvais pour les ouvertures au palier de 2. Pourtant ces ouvertures au palier de 2 ont été faites avec une force et une répartition communément admises aujourd'hui, à savoir 6 à 10 points H et une couleur de six cartes.
Jean-René Vernes formule la première conclusion suivante:
"Si les ouvertures de barrage faites avec des mains faibles font perdre des points, ou même simplement ne permettent pas d'en gagner, c'est que les enchères négatives sont mauvaises, et qu'elles ne sont efficaces actuellement que parce que les adversaires ne connaissent pas bien la meilleure défense à leur appliquer."
Le même relevé fait apparaître un nombre non négligeable d'ouvertures de 2 ♥ et 2 ♠ faites avec seulement cinq cartes. Ici aussi, les résultats sont surprenants.
Sur 11 ouvertures de 2 ♥ faites avec cinq cartes, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, 32 IMP ont été gagnés et 15 IMP ont été perdus, ce qui fait un bénéfice net de 17 IMP.
Sur 12 ouvertures de 2 ♠ faites avec cinq cartes, tandis que le joueur homologue passait à l'autre table, 40 IMP ont été gagnés et 6 IMP ont été perdus, ce qui fait un bénéfice net de 34 IMP.
Jean-René Vernes formule la seconde conclusion suivante:
"Lorsqu'un joueur possède une couleur non encore nommée de six cartes, il est distributionnellement légitime de l'annoncer au niveau de 3 si c'est une mineure, mais pas de 3 en majeure. Lorsque la couleur n'en contient que cinq, il est légitime de l'annoncer au niveau de 2 en majeure. Les résultats de nos statistiques ne sont contraires qu'à un système d'idées préconçues sur les ouvertures de barrage. Ils sont, au contraire, conformes à la loi des levées totales."
Je vous renvoie au livre de Jean-René Vernes, présenté plus haut, pour accéder à la démonstration de sa conclusion.