Vous vous retrouvez à devoir jouer un contrat, et votre partenaire compte bien sur votre réussite. Il vous a à l’œil. L'adversaire de gauche entame, et le mort s'étale. Comment allez-vous pratiquer pour mettre toutes les chances de votre côté ? Maintenant, c'est à vous.
Il est rare que le déclarant trouve, à la vue du mort, toutes les levées nécessaires à la réussite de son contrat. Il va falloir trouver les levées manquantes. Le plan de jeu consiste à prévoir les manœuvres qui permettront de trouver les levées manquantes.
Il va falloir ordonner votre réflexion. C'est l'élaboration du plan de jeu.
De nombreux livres sur les plans de jeu recommandent de compter les levées gagnantes dans les contrats à sans atout, et les levées perdantes dans les contrats à la couleur. le grand champion américain Eric Rodwell recommande de compter les levées gagnantes et perdantes dans tous les contrats, pour faciliter la démarche de recherche des levées manquantes. Le nombre des levées gagnantes dit si l'on est près ou loin de réaliser son contrat, le nombre des levées perdantes si l'on est près ou loin de le chuter.
On compte ses levées gagnantes issues des deux mains. Ne doivent être comptées que les levées sûres, ou quasi sûres.
On compte, également, ses levées perdantes (les levées qu'on peut perdre si le camp adverse prend la main). Pour ce faire, on compte les levées perdantes qu'on détient dans une main, en tenant compte des honneurs détenus dans l'autre main.
Toujours pour faciliter la démarche de recherche des levées manquantes, Eric Rodwell distingue deux types de perdantes:
Il a créé l'expression +P pour désigner le nombre de levées que l'on peut s'autoriser de perdre. On compte le nombre de perdantes autorisées par le contrat demandé, diminué du nombre de perdantes de jeu (y compris celles déjà perdues en cours de jeu). Ce nombre +P, que l'on tient à jour pendant le déroulement du jeu, est important, car il permet en donnant la main aux adversaires d'accéder à un arsenal de coups techniques (squeeze, fin de coup, affranchissement d'une couleur, éviter un adversaire dangereux...).
Supposons que l'on détienne une couleur affranchissable, qui pourrait permettre la défausse d'une ou plusieurs perdantes dans une autre couleur. Cette couleur est malheureusement gardée par le camp adverse. Une course à l'affranchissement va démarrer entre les deux camps, pour affranchir chacun sa couleur avant celle de l'autre.
Une unité de contrôle d'une couleur est un arrêt dans cette couleur, souvent un honneur. Mais ce peut être aussi la possibilité de couper cette couleur.
Une règle arithmétique très simple permet de prévoir le vainqueur de cette course à l'affranchissement:
Si l'on a la main, on gagnera notre course à l'affranchissement, à condition de détenir au moins autant d'unités de contrôle dans la couleur adverse que le camp adverse dans notre couleur à affranchir.
Si le camp adverse a la main, il faut une unité de contrôle de plus que lui.
Que l'on soit déclarant ou défenseur, l'observation des cartes jouées, pendant tout le déroulement du jeu, permet de reconstituer le partage initial d'une couleur entre les quatre joueurs. Elle permet, aussi, au déclarant de reconstituer l'une des deux mains cachées, ou aux défenseurs d'imaginer la configuration qui peut permettre de faire chuter le déclarant.
Il peut arriver que le contrat ne peut réussir qu'à la condition que la position d'une carte ou le partage d'une couleur soit respectée. Appelons celle-ci une hypothèse de nécessité. Il faut faire son plan de jeu, et jouer, comme si elle l'était.
A contrario, il peut arriver que le contrat soit sur table si une couleur est partagée de façon la plus probable. La priorité n'est plus la réalisation du maximum de levées. Il faut rechercher la façon de jouer la couleur, en acceptant de perdre une levée qui ne compromette pas la réussite du contrat, mais permette de gagner en cas de mauvais partage. C'est la mise en œuvre du jeu de sécurité (maniement des couleurs).
Quelques règles basées sur les probabilités "dans l'absolu" guident le maniement d'une couleur. Par exemple, ne jamais faire d'impasse à la Dame avec neuf cartes dont l'As et le Roi dans la couleur. Pourquoi ? Parce qu'après avoir tiré une carte maîtresse de la couleur, et continué d'une petite carte, le premier adversaire jouant une petite carte, au moment de choisir entre tirer en tête ou faire l'impasse, on connaît deux cartes tombées devant la fourchette et une seule carte dans l'autre main, il reste 11 places pour la Dame d'un côté et 12 places de l'autre. Léger avantage statistique pour que la Dame soit après. Mais la situation peut être différente, si l'on connaît le nombre de cartes détenues par l'un des adversaires dans une couleur. Dans ce cas, le nombre de places vacantes dans les mains des deux adversaires dans lesquelles peut se trouver la carte recherchée modifie les probabilités. Cette information doit être prise en compte pour le maniement des couleurs. C'est le principe des places vacantes.
Quand les levées à affranchir sont contenues dans plusieurs couleurs, l'exploitation successive ou alternée de ces couleurs exige une planification stricte. L'ordre dans lequel les couleurs doivent être attaquées revêt toujours une grande importance.
La démarche consiste à déterminer combien de levées sûres chaque couleur peut apporter, et si l'on a le temps de les libérer. Puis on essaie de voir où sont les écueils. On commence par les couleurs où l'on a des "perdantes de jeu", celles qu'on est forcé de concéder, et qui conservent des possibilités d'affranchissement de carte ou de longueur. En cas de choix, on essaiera de donner la main d'abord à l'adversaire dangereux, pour éliminer ses reprises en main.
La première chose à faire est de s'arrêter à l'entame, avant de jouer une carte quelconque du mort, quand bien même le mort serait singleton dans la couleur entamée. La découverte du mort est l'information la plus massive de la donne. Il faut y accorder la plus grande attention. C'est maintenant qu'il faut orienter sa réflexion dans trois directions successives:
Les enchères adverses, même les "Passe", donnent des informations sur la force que détient chacun des adversaires (leur nombre de points) et la longueur des couleurs éventuellement annoncées.
L'entame est toujours très révélatrice, car un défenseur se trahit par son entame. D'une part, il ne connaît pas encore le mort, et ne peut se fier qu'aux enchères, à cet instant. D'autre part, il est obligé de dévoiler une combinaison d'honneurs, ou de donner un renseignement précis à son partenaire sur son nombre de cartes dans la couleur ou l'emplacement de ses honneurs.
L'estimation des mains adverses est souvent possible avec une précision relative. En ajoutant le nombre de points H détenus par le mort à ceux que l'on détient, on a aisément les points détenus par le camp. Sachant que le nombre total des points H d'un jeu est de 40 points, il est tout aussi aisé de connaître le nombre de points détenus par le camp adverse. Les enchères adverses peuvent permettre d'appréhender approximativement la répartition de ce nombre de points entre les deux mains.
L'analyse de ces trois points peut permettre de connaître l'emplacement probable des principaux honneurs adverses.
♠ D6 ♥ RD974 ♦ A743 ♣ D5 □ ♠ RV7 ♥ 6 ♦ V10652 ♣ ARV6 |
Vous jouez 3 SA en Sud, après une intervention en Ouest, vulnérable, par 1 ♠. Ouest entame du 10 ♠.
Ouest doit avoir cinq ♠ et 11 points H minimum, pour être intervenu vulnérable. Il doit avoir l'As ♠. On peut raisonnablement lui attribuer, en plus de l'As ♠, l'As ♥ et un honneur ♦.
L'entame du 10 ♠ promet le 9, et probablement le 8. Ouest doit, donc, avoir A-10-9-8-x ♠.
Les adversaires n'ont que 14 points H, ce qui ne laisse que 3 points maximum à Est, soit au plus, un gros honneur.
Il s'agit d'établir une feuille de route, c'est à dire de choisir les couleurs à jouer, et l'ordre dans lequel on va les jouer. Mais ce plan ne doit pas être figé au départ. Il doit permettre, à chaque fois que la situation le permet, de changer son plan, lorsque les cartes jouées par les adversaires apportent des informations non prises en compte au départ, et qui nécessitent un changement de démarche.
On commence, donc, par utiliser les outils décrits plus haut:
Puis, on examine les capacités de nuisance des défenseurs:
couper, jouer atout pour réduire les coupes, prendre des
honneurs en fourchette, faire sauter des reprises, avoir assez
de plis maîtres pour faire chuter. Mais on peut, parfois, avoir
intérêt à adopter une stratégie de passivité.
Pour éliminer les zones d'ombre de l'analyse, il faut se poser "les bonnes questions". Quelles sont-elles ?
Avant de mettre en œuvre son plan de jeu, il est nécessaire de recenser les dangers éventuels les plus évidents, susceptibles de le mettre en échec:
Reprenons l'exemple présenté plus haut.
♠ D6 ♥ RD974 ♦ A743 ♣ D5 □ ♠ RV7 ♥ 6 ♦ V10652 ♣ ARV6 |
Vous jouez 3 SA en Sud, après une intervention en Ouest, vulnérable, par 1 ♠. Ouest entame avec le 10 ♠. La récapitulation des informations recueillies vous a permis de déduire les informations suivantes.
Ouest doit avoir cinq ♠ et 11 points H minimum, pour être intervenu vulnérable. Il doit avoir l'As ♠. On peut raisonnablement lui attribuer, en plus de l'As ♠, l'As ♥ et un honneur ♦.
L'entame du 10 ♠ promet le 9, et probablement le 8. Ouest doit, donc, avoir A-10-9-8-x ♠.
Les adversaires n'ont que 14 points H, ce qui ne laisse que 3 points maximum à Est, soit au plus, un gros honneur.
Passons au plan de jeu.
Nous recensons :
Couleurs offrant des levées possibles:
Nous ne détenons plus qu'une unité de contrôle à
♠, après l'entame. On ne
peut, donc, donner la main qu'une fois.
Le maniement des ♥ nécessite deux rentrées en main que l'on n'a pas, et oblige à donner deux fois la main. Les ♥ ne peuvent, donc, fournir qu'une seule levée (un honneur), en consommant le seul rendu de main aux adversaires autorisé.
L'affranchissement de levées à ♦ est, donc, nécessaire, et oblige à donner la main aux adversaires au moins une fois. l'option par les ♥ est, donc, une impasse. Ne pouvant donner la main aux adversaires qu'une fois, il est nécessaire de ne perdre qu'un honneur ♦, et que le partage de la couleur ne soit pas pire que 3 - 1, pour trouver les 3 levées manquantes (les ♦. partagés 2 - 2, ou 3 - 1 avec un honneur singleton).
On prendra, donc, l'entame ♠ au mort, et l'on tirera l'As ♦, puis petit ♦.
♠ AR10 ♥ V6 ♦ AD106 ♣ D973 □ ♠ V93 ♥ AD8 ♦ 8 ♣ AR8642 |
Vous jouez 6 ♣ en Sud, dans le silence adverse. Ouest entame avec le 7 ♦.
Informations recueillies:
On ne sait presque rien des jeux adverses. L'entame ♦ d'Ouest place les honneurs ♦ manquants en Est.
Plan de jeu:
Nous recensons :
Couleurs offrant des levées possibles:
Les ♠ ne peuvent fournir qu'une seule levée. l'utilisation des ♥ est, donc, nécessaire. L'impasse à ♥ n'offre que 50 % de chances de réussite. Mais une manœuvre permet d'améliorer considérablement la probabilité de réussite. Après l'impasse à ♥, qu'elle réussisse ou non, on a déjà trouvé la 11e levée. On pourra défausser le ♠ perdant du mort sur le troisième ♥ de la main, ce qui permettra la coupe du ♠ perdant de la main avec un atout du mort, pour la 12e levée. La réussite du contrat est pratiquement à 100 %.
Mais ce n'est pas tout. Le bonus d'une 13e
levée est possible soit en réussissant l'impasse
♠, soit grâce à une fin de
coup qui prendra la forme d'un squeeze.
En tentant l'impasse au Roi ♥, qui n'est pas nécessaire pour la réussite du contrat, on se donnera une chance de faire une levée supplémentaire, si l'impasse réussit. Si un adversaire détient à la fois la Dame ♠ troisième (ou plus) et le Roi ♦ troisième (ou plus), il ne pourra pas les conserver tels quels après trois tours de ♥, dont un coupé, l'As ♦, et cinq tours de ♣. Comptez. Il lui manquera une carte. Il sera obligé de défausser un ♠ ou un ♦, permettant de faire le Valet ♠ ou la Dame ♦, selon sa défausse, pour la 13e levée. Cet adversaire succombera à un squeeze simple à l'atout.
On prendra, donc, l'entame ♦ avec l'As. On tirera deux ou trois tours de ♣ pour éliminer les atouts adverses, en terminant au mort (si possible), et on jouera ♥ en partant du Valet et en tentant l'impasse au Roi. Si l'impasse échoue, on tirera ensuite As et Dame ♥, en défaussant un ♠ du mort, ce qui permettra de couper le ♠ perdant de la main.
Si l'impasse réussit, on continuera ♥ en coupant le 3e tour au mort, puis on tirera les ♣ de la main, en en conservant un, et en défaussant un ♦ au mort, puis un second ♦, si l'on choisit l'impasse ♠, ou un ♠, si l'on choisit le squeeze, selon les cartes défaussées par les adversaires.
Si l'on choisit le squeeze et que l'un des adversaires détenait au départ à la fois la Dame ♠ troisième (ou plus) et le Roi ♦ troisième (ou plus), il sera obligé de jeter un ♠ ou un ♦. Dans le premier cas, sa Dame ♠, devenue seconde, peut être prise en tirant As et Roi. On pourra rentrer en main par la coupe d'un ♦ pour tirer le Valet ♠ affranchi. S'il défausse un ♦, la remontée au mort par un honneur ♠ permettra de couper le Roi ♦ devenu sec, et le second honneur ♠ du mort permettra de tirer la Dame ♦ affranchie.
Certains contrats paraissent désespérés. Pourtant, il faut savoir tenter sa chance jusqu'au bout. La première voie consiste à envisager la distribution favorable, même si elle est peu probable, et jouer comme si elle existait. C'est la solution purement technique. La seconde voie est psychologique. Elle consiste à provoquer une faute adverse. N'oublions pas que l'adversaire connaît rarement la main exacte du déclarant.
R5432 □ V106 |
Supposons que vous n'ayez pas le droit de perdre plus d'une levée dans l'exemple ci-dessus, où vous êtes déclarant en Sud. C'est théoriquement impossible, car, même si la Dame est singleton en Ouest, Est a A-9-8-7. Imaginons que la couleur soit distribuée de la façon suivante:
R5432 A97 □ D8 V106 |
Vous partez d'une petite carte de Nord. Est devrait mettre sa Dame. Mais cela lui est impossible, car s'il le fait et que vous avez A-V-10 ou A-10-9, il vous ferait un cadeau inespéré. il va, donc, mettre sa petite carte, et la catastrophe arrive. Vous jouez le Valet en Sud, qui pousse à l'As. Vous tirez, ensuite le Roi, sur lequel tombe la Dame. Et vous avez gagné la levée inespérée.